Nouvelle taxe sur le e-commerce en France
Le Sénat a adopté en première lecture la proposition de loi portant sur “revitalisation des centres-villes”. La livraison des produits achetés sur internet pourrait être lourdement taxée.
L’idée est ambitieuse. Des Sénateurs veulent introduire une nouvelle taxation des livraisons faites par les entreprises d’e-commerce aux particuliers, au travers de la proposition de loi dite “Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs“, adoptée en première lecture le 15 juin. L’article 27 du texte, issu d’un amendement déposé par 89 sénateurs, impose une taxe sur chaque bien commandé sur une plateforme internet, d’un montant allant de 1 à 2% de sa valeur, en fonction de la distance de livraison.
Cette taxe, si elle est adoptée par l’Assemblée Nationale qui doit encore examiner la proposition de loi, pourrait grandement crever l’essor de la livraison à domicile en France, alors que ces services toujours plus économiques et populaires (Amazon Prime compte 100 millions d’adhérents dans le monde) révolutionnent les modes de consommation dans les villes. Les sites d’e-commerce redoublent en effet d’offres, généralement très avantageuses Amazon Prime, FNAC+, eBay Extra… pour attirer les consommateurs.
La taxe proposée par les sénateurs s’appliquerait aux livraisons dans des périmètres définis, dits “OSER” (Opération Sauvegarde Économique et Revitalisation), correspondant aux centres-villes à protéger. Elle serait appliquée aux livraisons à destination de toute personne physique ou morale non assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée et commandés par voie électronique. N’importe quel achat en ligne effectué par un consommateur. Son montant serait calculé en fonction du nombre de kilomètres parcourus par le bien entre son dernier lieu de stockage et l’adresse de livraison finale, et de la frontière franchie en cas de livraison depuis l’étranger. Les montants sont ainsi détaillés dans le texte: 1 % du prix du bien lorsque la distance parcourue entre son dernier lieu de stockage et l’adresse de livraison finale est inférieure à 50 kilomètres, 1,5 % lorsque cette distance est comprise entre 50 kilomètres et 80 kilomètres, 2 % lorsque cette distance est supérieure à 80 kilomètres. Petit hic, la taxe sera au minimum de 1 euro quel que soit le prix du produit, ce qui pourrait pénaliser les “petits” achats internet sur des biens ne dépassant pas 5 euros de tarif. A noter que les livres sont exemptés de cette taxe, un petit coup de pouce pour la culture…
Les sénateurs ont fourni l’exemple d’un produit électronique de 1000 euros, qui sera donc taxé entre 10 et 20 euros supplémentaire en fonction de la distance parcourue lors de la livraison.
Concernant les produits importés de l’étranger, c’est la taxe la plus lourde qui devrait être appliquée à tous coups puisque le calcul de la distance sera effectué à partir de l’endroit où le produit débarque sur le sol français (via Cargo le plus souvent). La nouvelle loi prévoit bien sûr des exonérations, ainsi, les livraisons réalisées par moyen de transport non consommateur d’énergie fossile seront exemptées de toute taxe supplémentaire, tout comme celles effectuées par des commerçants ou artisans dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 50 millions d’euros ou bien encore les livraisons des producteurs agricoles locaux en circuits courts, qui tentent de survivre via un système de vente directe (producteur-consommateur).
Préserver les petits commerces
L’objectif, toujours selon les mots employés par les rédacteurs du texte, est de réduire les externalités des livraisons, rapprocher les e-commerçants des centres-villes, et surtout rééquilibrer la concurrence entre le commerce physique et l’e-commerce. La cible est claire: il s’agit de combattre les grosses enseignes de l’e-commerce que sont Amazon, PriceMinister, la Fnac, Vente-Privée.com ou encore Cdiscount. Le Sénat veut avant tout protéger les petits commerces de centre-ville, victimes selon lui d’entreprises bénéficiant de conditions fiscales iniques et peu implantées sur le territoire national. Ils mettent en avant l’évasion fiscale pratiquée par ces compagnies, et la lenteur du processus européen pour les taxer sur le chiffre d’affaires. À cela s’ajoute les effets de ces livraisons au quotidien génératrices de diverses pollutions, et conduisant par ailleurs à un usage immodéré des infrastructures routières.
Forcément répercuté sur l’acheteur
Il sera économiquement impossible pour l’e-commerçant d’assumer la globalité de cette taxe, et elle sera donc répercutée sur le client final. Dans le cadre d’une livraison payante, le prix final s’avèra totalement prohibitif pour l’acheteur. Quant à la livraison offerte, celle-ci deviendra forcément payante. Si le Sénat pense que c’est la bonne méthode pour faire revenir les clients en magasins, je suis dubitatif, je préférais avoir envie d’aller en magasin plutôt que d’y être forcé. C’est une démarche négative qui contraint plus qu’elle n’encourage à favoriser certains acteurs.
Une mesure qui plus est en totale contradiction avec la volonté de piétonniser les centres-villes et d’en interdire l’accès aux véhicules motorisés. On souhaite revitaliser les centres-villes en forçant les clients à s’y rendre pour acheter, tout en réduisant les possibilités d’y accéder.
Une mesure punitive?
Un projet qui laisse perplexe Michael Levy, patron de Deliver.ee (service de livraison) qui dans une tribune publiée sur le site LSA en souligne les incohérences. Il y met en cause la taxe – 50 centimes par kilomètre et 3 euros forfaitaires, forcément répercutée sur l’acheteur», une critique qui est toujours d’actualité avec la dernière version du texte. Cette mesure, avance-t-il, n’affectera pas que les grandes firmes étrangères, mais aussi des réussites françaises comme Vente-Privée.com ou Cdiscount. Cette taxe sera en outre facilement contournée par les entreprises, qui multiplieront les filiales, passant au-dessous de la barre des 50 millions de chiffre d’affaires, anticipe-t-il.
Cette proposition de loi part d’une bonne intention, mais de l’article 27 ressort une profonde méconnaissance de l’équation économique du transport e-commerce.
Le montant exigé de 0,50 € par km avec trois euros de minimum forfaitaire par livraison peut s’avérer plus cher que le coût initial de livraison pour un e-commerçant. L’expédition d’un colis en Colissimo négocié par un gros acteur e-commerce peut coûter trois euros HT, avec cette mesure, le coût de sa livraison s’avérerait doublé, soit 100% de taxes pour l’e-commerçant. Une aberration qu’on peut assimiler à une taxe de douane pour un commerce localisé en France…
Bien qu’il salue l’incitation à utiliser des véhicules électriques, il souligne l’effet dramatique que cette taxe aurait sur les transporteurs “dernier km” qui n’ont pas les capacités d’investissement nécessaires. À la place, il suggère des mesures plus incitatives, comme des exemptions fiscales aux petits commerçants (une baisse de leur taux de TVA, notamment).
Pénalisant pour les banlieues
L’article 27 est également pénalisant pour les banlieues. Les centres-villes leurs sont souvent inaccessibles en raison de services de transports en commun peu optimisés. Elles sont également trop éloignées des centres-villes pour pouvoir être livrées par des véhicules électriques ou des vélos.
Quant à l’avantage incroyable de l’e-commerce de donner accès à l’offre mondiale de produits aux consommateurs, il sera tout bonnement supprimé pour les consommateurs français, car les e-commerçants étrangers seront taxés sur le trajet de l’entrée à la frontière française du colis jusqu’au domicile du client… On parle ici de taxes transport de plusieurs centaines voire milliers d’euros par commande. Fini de se faire livrer les petites robes de designers anglais, les sneakers édition limitée du Japon, des spécialités culinaires d’Italie ou les meubles vintage uniques du Danemark.
Cette taxe serait contournée
Si cette proposition de loi est adoptée, elle sera probablement contournée. Les e-commerçants pourront rapprocher leurs dépôts des villes pour payer moins cher, même si ce n’est pas facile et que cela coûte cher initialement (et c’est ce que fait déjà Amazon), s’appuyer plus sur leurs magasins pour ceux qui en ont, ou même créer des filiales pour passer en dessous des 50 millions d’euros de chiffres d’affaires pour que la taxe ne soit pas appliquée.
Mais cela peut aussi avoir l’effet positif d’inciter les enseignes à employer des véhicules électriques, sans émission pour leur livraisons (qui sont exonérés de la taxe). Et cela répercute l’effort financier d’équipement sur les transporteurs “dernier km” qui ont des marges microscopiques et des capacités d’investissement faibles, pour s’équiper en véhicules très onéreux et pas encore totalement efficients en rendement.
Il existe d’autres moyens d’inciter les clients à se rendre dans les magasins en centre-ville, par exemple en appliquant une TVA réduite aux commerçants, mais on continuerait à creuser les pertes de l’Etat… Ou s’il faut taxer à tout prix, un tarif d’un euro forfaitaire, avec une sensibilisation du client final à favoriser les commerces des centres-villes, sur le modèle de l’éco-participation, serait plus acceptable et faisable.
Reste à voir l’impact de cette taxe, aussi minime soit-elle, sur les usages de consommation d’une population française dont le salaire médian tourne autour de 1700 euros/mois.
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